Comme chaque année depuis huit ans, un jury composé de membres de l’Ajir a sélectionné les lauréats du Prix Ajir 2024 « Religions-Jeunes journalistes ». Nous publions ici l’article récompensé par le Prix spécial du jury 2024. Il est signé de Zoé Gachen, étudiante au CFJ Paris.
Le monde chrétien s’empare de plus en plus de la question écologique. Pourtant, les modes d’action divergent d’un groupe à l’autre, entre urgence climatique et volonté de ne pas brusquer.
Malgré ses vieilles pierres et sa lourde porte en bois, Notre-Dame de l’Hermitage, à Ploeuc-sur-Lié, n’est pas une église classique. Derrière l’autel, un immense écran de projection donne le ton.“Toutes nos célébrations sont vidéo-projetées pour ne pas imprimer les cantiques”, explique Pierre-Michel Connen, le responsable paroissial, en arpentant la vaste nef. Du plafond, pend un large cercle de métal qui diffuse une lumière rouge : un ovni dans l’édifice qui date de 1886. “C’est notre nouveau chauffage, s’exclame-t-il fièrement, avant, on utilisait du fioul”. Ce système électrique fonctionne à l’infrarouge et représente 10 % seulement de la consommation de l’ancienne chaudière, le tout sans dénaturer les lieux. “On n’allait pas mettre une double épaisseur aux vitraux”, plaisante le septuagénaire. Du côté des éclairages, même recette. Les ampoules énergivores ont été remplacées par des LED. Malgré les nouveaux aménagements, le lieu conserve son aura solennel, un point important pour Pierre-Michel Connen qui s’enorgueillit du résultat : “En quelques années, on est passé de 800 mégawatt par heure à 80 sans chambouler notre mode de vie”. Le déclic ? L’intégration en 2020 du programme Église verte.
Une philosophie du “pas à pas”
Lancé en 2017, ce label œcuménique accompagne les églises, paroisses et communautés chrétiennes qui souhaitent s’investir pour la planète – ou “soin de la création”. Elles sont aujourd’hui plus de 850 à participer au programme. Chaque église candidate réalise un éco-diagnostic et obtient un score. Celle de Ploeuc a déjà atteint le troisième, “Cep de vigne”, et vise “Figuier” pour l’année prochaine. “Pour Cèdre du Liban (le cinquième et dernier), c’est encore un peu trop tôt”, avertit Pierre-Michel Connen. Si chaque niveau correspond à un degré d’investissement, Alexis Guérit, secrétaire général de l’association depuis trois mois, rappelle que le but, c’est avant tout “de récompenser la volonté de faire”. Le jeune cadre protestant récuse d’ailleurs, au nom d’Église verte, l’étiquette militante.“On est là pour accompagner, pas pour transitionner et je pense que c’est là que ça se joue, il ne faut pas brusquer les gens.”
Dans le petit village armoricain, la démarche environnementale n’a d’ailleurs pas fait l’unanimité de suite. “Il y a toujours des gens pour râler et même moi, j’avais une mauvaise image de l’écologie avant”, avoue Pierre-Michel Connen. C’est aussi la mise en place de services qui bénéficient à la communauté qui a rallié les derniers récalcitrants au projet. “Automesse”, un service de covoiturage lancé l’année dernière pour se rendre aux services dominicaux, a, par exemple, une double utilité. D’un côté, réduire les émissions en limitant le nombre de véhicules et de l’autre, permettre aux fidèles qui ne sont pas en mesure de conduire d’être présents aux cérémonies de la paroisse. Autre mesure mise en place avec brio, le boycott des fleurs importées. “Avant, on faisait venir des oiseaux du paradis d’Amérique latine pour faire des bouquets magnifiques, mais tout ça, c’est fini”. Désormais, le fleurissement doit être local et bien souvent, ce sont les jardins des paroissiens qui sont mis à contribution.
Telle est l’écologie dans la paroisse de Ploeuc-sur-Lié : des petits gestes, des prières. Certains objectifs ne sont pas encore atteints, comme, par exemple, la question du chauffage à gaz dans l’autre clocher de la paroisse, Notre-Dame-sur-Orge. “Ce n’est pas l’idéal mais il a été installé avant qu’on entame le programme, donc, pour le moment, on fait avec”, explique l’équipe paroissiale. L’important, c’est de “se laisser le temps”.
La fureur d’agir
Côté jeunesse chrétienne, au contraire, on est pressé d’agir. Fondé au printemps de l’année dernière, le collectif Luttes et Contemplations regroupe une centaine de jeunes fidèles qui militent pour la préservation de l’environnement. “On assume le mot lutte : ce qu’on veut, c’est s’engager pleinement ”, assène Éloi Descamps, 26 ans, membre depuis les débuts et porte-parole du mouvement. Dans le cadre des Législatives anticipées, le groupe n’a d’ailleurs pas hésité à appeler au barrage du Rassemblement national sur les réseaux et via un communiqué. Leur dernière action en date ? “Halte au Tarmac !”, une campagne de lutte contre le doublement du trafic aérien à Beauvais, mais ils se sont aussi emparés du projet polémique de l’A69, des investissements fossiles des évêchés et des géants pétroliers. “Au début, c’était un groupe de prière mais on a ressenti le besoin d’agir”, explique le jeune croyant. Pour lui, la foi n’est pas nécessairement le seul déclencheur mais elle le pousse à s’engager. “On ne peut pas professer un Dieu d’amour et de justice et ne pas militer pour mettre en pratique ces principes.”
Des principes qui ont été couchés sur papier par le pape François, dans son encyclique “Laudato Si’” (“Loué sois-tu”) en 2015. Dans cette lettre historique aux évêques, le chef du Vatican appelle à sauver “notre maison commune” et surtout, introduit au grand public la doctrine de l’écologie intégrale, cette vision catholique de la lutte climatique. Falk van Gaver, un professeur de philosophie à qui l’on attribue la paternité du concept, explique : “L’écologie intégrale, ce n’est pas simplement résoudre un problème d’émissions de gaz ou de trou dans la couche d’ozone , c’est tout le système qu’il faute repenser. Il n’y a pas d’écologie sans justice sociale, c’est au cœur du concept !”
À Ploeuc, ce texte est considéré comme “une des principales sources d’inspiration”, une “boussole”. Pourtant, l’urgence climatique peine à être reconnue comme telle. “On est pris entre deux feux : la rapidité avec laquelle il faut agir et l’impossibilité de contraindre, parce que dès qu’on se met à contraindre, on renforce les climatosceptiques.”, admet Pierre-Michel Connen. De même, peu sont les hauts responsables chrétiens de France à prendre la parole. Peur de braquer leurs fidèles ou manque d’intérêt pour la question ? “On va faire bouger les choses“, disent en chœur les jeunes (et moins jeunes) croyants écologistes.
Zoé Gachen
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