Mode éthique : ces jeunes musulmanes bouleversent leur consommation, inspirées par leur religion

Comme chaque année depuis neuf ans, un jury composé de membres de l’Ajir a sélectionné les lauréats du Prix Ajir 2025 « Religions-Jeunes journalistes ». Nous publions ici l’un des deux articles récompensés par une mention du jury. Il est signé d’Emma Theobald, étudiante en Master 2 à école de journalisme de Grenoble UGA et Sciences Po Grenoble.

Alors que la proposition de loi pour lutter contre la fast fashion a été adoptée par l’Assemblée nationale en mars 2024 et par le Sénat en juin 2025, les conséquences environnementales et sociales de la production textile sont questionnées par les jeunes musulmanes. Guidées par les principes de l’islam, elles aspirent à une mode plus respectueuse, tout en suivant un style vestimentaire discret inculqué par la religion.

« Ma garde-robe est remplie, même si je n’en ai pas l’impression ! », admet Louisa en riant. Dans son appartement lillois, l’étudiante en médecine présente ses dernières trouvailles achetées pendant les soldes, la plupart dans des enseignes de mode jetable. Des chemises, des robes et des jupes qu’elle adapte aux codes de la mode modeste – ce style vestimentaire privilégiant la discrétion et la pudeur à l’aide de vêtements couvrants et amples. « C’est de la surconsommation, reconnaît sans détour la jeune musulmane. J’ai des difficultés à contrôler mes achats. J’essaye de m’améliorer, car j’ai conscience que les vêtements ont fait plusieurs fois le tour du monde, mais on y trouve son style et c’est abordable. »

À l’autre bout de l’Hexagone, Sarah K. peine également à s’habiller pudiquement avec un budget réduit. Adepte des dernières tendances, elle se rend dans des boutiques de seconde main pour limiter ses achats en fast fashion. « J’ai déniché un chemisier et un hijab pour trois euros chacun, décrit l’étudiante grenobloise de 22 ans, le voile fuchsia entre les mains. Le problème, c’est que le premier est transparent. » Alors, même si elle évite les grandes enseignes, elle doit parfois se résoudre à y mettre les pieds. « Je vais certainement devoir acheter un haut à manches longues en magasin ou au marché, pour le porter en dessous. »

S’habiller modeste, écolo et éthique, une combinaison impossible ?

Depuis quatre ans, Sarah K. prête attention à la provenance de ses vêtements. « J’ai été sensibilisée à ces questions sur les réseaux sociaux, notamment après la publication des 83 entreprises bénéficiant du travail forcé des Ouïghours par Raphaël Glucksmann », se remémore-t-elle. D’après un hadith (parole rapportée du prophète Mohammed), le musulman doit mettre un terme aux agissements d’un oppresseur et l’empêcher de persister dans son injustice. Pour Sarah K., il est donc inconcevable « d’alimenter ces entreprises exploitant des humains ».

À ces considérations éthiques s’ajoute souvent le choix d’une matière première écologique. Aussi étudiante à Grenoble, son amie Aya regrette la présence de polyester, un tissu synthétique dérivé du pétrole, dans nombre de ses tenues. Son armoire contient des vêtements modestes d’occasion, mais aussi des abayas achetées dans des commerces londoniens. « En France, tout est fait en polyester. Je me dis que je porte du plastique, en réalité. En Angleterre, on trouve plus facilement des robes en lin », souligne-t-elle en montrant une abaya grise au tissu épais.

« L’islam, un mode de vie encadrant notre façon de consommer »

L’industrie textile est responsable de près de 10 % des émissions de gaz à effet de serre mondiales, selon la plateforme du gouvernement Vie Publique. Pour Sarah K., revoir ses habitudes d’achat en tant que musulmane est donc essentiel. Dans l’islam, la Terre est considérée comme une amanah, c’est-à-dire une entité qu’Allah a confiée aux humains afin qu’il la préserve. « Si on la pollue, on devra rendre des comptes [le jour de notre Jugement]. On peut faire en sorte de ne pas la dégrader davantage, enjoint-elle. Il en est de même pour le travail forcé, interdit en islam. »

Cette vision est aussi en plein essor sur les réseaux sociaux. Assia B., créatrice de contenu depuis cinq ans, promeut sur son compte Assiachahinez un art de vivre islamique ancré dans le respect de l’environnement. « L’islam n’est pas qu’une religion, c’est un mode de vie encadrant aussi notre façon de consommer, souligne-t-elle. En tant que musulman, on doit apporter du bon à la société. »

Face aux personnes peu sensibles à son message et à celles évoquant l’épineuse question du budget, elle reste ferme, rappelant l’importance du contentement. « Il faut faire preuve de solidarité. J’ai souvent montré des exemples de vêtements récupérés auprès de mes proches. On n’a pas toujours eu accès à l’ultra-fast fashion !  On doit prendre du recul sur ce que l’on possède et être reconnaissant.  »

Soutenir les commerces musulmans, jusqu’à quel point ?

En parallèle, avec son entreprise Dīnamique, Assia B. conseille les entrepreneurs musulmans pour les aider à mieux lier islam et éthique dans leur commerce. « Dieu nous a accordé la responsabilité de prendre soin de la planète, donc on doit viser l’excellence dans nos actes, que ce soit du côté du consommateur ou de l’entrepreneur », soutient-elle. Pour la Lilloise Louisa et sa sœur Sarah A., soutenir les boutiques tenues par des musulmans est essentiel. « Acheter auprès d’eux permet de les encourager à développer des vêtements correspondant à nos attentes », affirme Sarah A., l’ainée des deux sœurs. Or, « leurs fournisseurs sont souvent en Chine », nuance Louisa.

Face à cette situation, nombreuses sont les musulmanes à se questionner. « Doit-on soutenir une commerçante de notre communauté vendant une abaya en plastique ? On a le droit d’exiger de la qualité, sinon nos paires n’évoluent pas », assène Aya, l’étudiante grenobloise. Ce dilemme, Inès, jeune musulmane de 24 ans, l’a aussi vécu. « En étudiant l’islam, je me suis aperçue que l’écologie faisait partie intégrante de cette religion », confie-t-elle. Elle a depuis décidé de se tourner vers des marques plus éthiques, mais plus chères. « J’achète une tenue tous les trois mois, pour un budget de 100 euros, décrit-elle. Je mets le prix, car je considère que cela va durer longtemps. »

Des commerces éthiques qui se développent, mais un public peu réceptif

Du côté des entrepreneurs, les lignes commencent à bouger. En mars 2025, Assya a quitté le marketing pour lancer officiellement sa boutique de vêtements écoresponsables. Sur son site Rukhsar, elle propose une garde-robe capsule de cinq vêtements intemporels, entre 89 et 123 euros. « Un prix juste, pour des vêtements fabriqués en Turquie, en lin et coton locaux », défend-elle. La créatrice de la marque a souhaité que les salariés soient traités le mieux possible, tout en se tournant vers des matières moins polluantes. En proposant si peu de pièces, elle espère inciter les musulmans à voir les vêtements comme un investissement. « Je ne veux pas pousser à acheter, mais montrer que, quand on en a besoin, on peut se tourner vers des produits durables, détaille-t-elle. Pour cela, je suis prête à faire moins de chiffre d’affaires ! »

Malgré ces efforts, Assya remarque qu’il est difficile pour la communauté musulmane de faire des concessions. Un constat partagé par la jeune Sarah K., qui reconnaît la complexité de la démarche. « Le marché, la fast fashion et les plateformes en ligne, les commerces musulmans ou encore la mode d’occasion… Il faut peser les avantages et inconvénients de chacun,  tout en essayant de combiner son style, son budget, sa religion, sa conscience et ses valeurs, énumère-t-elle. Se poser ces questions peut retirer le plaisir de consommer. C’est pourtant un cheminement nécessaire ! »

Emma Theobald

Légende photo en home page : la mode modeste, ou modest fashion, désigne un style vestimentaire privilégiant la discrétion et la pudeur, à l’aide de vêtements couvrants et amples. Crédits : Pixabay

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