Comme chaque année depuis neuf ans, un jury composé de membres de l’Ajir a sélectionné les lauréats du Prix Ajir 2025 « Religions-Jeunes journalistes ». Nous publions ici l’article récompensé par le Prix. Il est signé d’Eva Klein, étudiante en Master 2 Journalisme et Informations Scientifiques au CELSA – Sorbonne Université.
Avec un nombre record de 17 800 adultes et adolescents baptisés la nuit de Pâques 2025, c’est désormais une certitude : l’Eglise en France fait face à une vague de conversions sans précédent. Mais dans quoi baignent ces nouveaux fidèles une fois sortis des eaux du baptême ? Un, trois ou cinq ans après, des convertis relisent leurs premiers pas de chrétiens, entre exaltation, découverte de soi et, parfois, désillusion.
Accoudé à la terrasse d’un café du 8e arrondissement, Adrien se souvient avec une nostalgie tranquille de ces premiers mois qui ont suivi son entrée dans la foi catholique, quatre ans plus tôt : « Mes amis et moi, on n’écoutait plus que de la louange, on lisait des vies de saints, des enseignements… »
Cette foi du converti, Louise-Marie aussi la connaît bien. Baptisée petite, elle a noué des amitiés profondes avec les nouveaux croyants de l’aumônerie de son université parisienne : « Je vois des gens très sûrs de leur foi, animés d’un désir de faire les choses à fond ! On trouve chez eux une radicalité dans la manière de se donner à Dieu et aux autres. » Tout feu tout flamme, Maxime, 22 ans, assume de l’être. Dans sa chambre de la banlieue de Strasbourg trône une bannière ornée d’un dessin du Sacré-Cœur : en mai dernier, alors qu’il n’est baptisé que depuis un mois, le jeune assistant éducatif a pris la tête de l’un des nombreux groupes cheminant vers Chartres lors du traditionnel pèlerinage de Pentecôte.
Depuis environ 2 000 ans, l’Église appelle ses nouvelles recrues les néophytes – terme issu de la fusion de deux mots grecs et qui signifie « jeune pousse ». Une image contrastée qui, comme le relève la Conférence des évêques de France[1], renvoie aussi bien à un potentiel de croissance spirituelle qu’à « la fragilité de la foi ». L’abbé René-Philippe Rakoto de Malaza, prêtre diocésain en Alsace, explique : « Le converti va être porté à ses débuts par une grande ferveur, par beaucoup de ressentis qu’il reçoit spontanément, avant de se rendre compte que vivre sa foi au quotidien demande du temps et une monotonie qui peut le décourager. »
De la surabondance à la sécheresse
Adrien en sait quelque chose. Peu de temps après son baptême en 2021, il est contraint de retourner vivre un temps chez ses parents, à Toulon. Du jour au lendemain, le jeune homme se retrouve arraché à la paroisse étudiante parisienne qui l’avait porté jusque-là et perd son cadre. « Conserver une routine de vie chrétienne a été très compliqué, étant le seul de ma famille à aller à l’église », confie-t-il. Le retour dans la capitale ne sera pas plus simple. « Pendant le catéchuménat, on a de grandes aspirations à la sainteté et une ligne de mire claire. Une fois baptisé, il reste une vie à vivre et l’on est vite rattrapé par le quotidien », raconte l’ingénieur en informatique. Fréquenter la messe, soigner sa prière personnelle, rester en lien avec ses groupes… Ce qui, jusque-là, relevait de l’évidence devient soudain un effort douloureux. Lucide, il admet : « On en vient à se forcer et, face à ça, on a vite envie d’abandonner. »
Faut-il en conclure que l’idéal chrétien n’est tout simplement pas tenable sur le long terme ? Prêtre du Chemin Neuf incardiné dans le diocèse de Nanterre, le Père Louis-Marc Thomy rassure sans toutefois mâcher ses mots : « Le combat spirituel fait partie de la vie normale du croyant. Il faut se préparer au fait qu’une lutte va avoir lieu à l’intérieur de soi, que surmonter le découragement et poser des choix va être un enjeu. » En d’autres termes, peiner, douter, questionner, c’est aussi cela, devenir authentiquement chrétien.
Se convertir après la conversion
Baptisée en pleine pandémie de Covid, Marie* a cinq ans de cheminement derrière elle. Cinq ans de lutte qu’elle commente sans tabou : « C’est quand les difficultés surviennent que tout commence. » La jeune femme reste longtemps portée par l’élan de son catéchuménat : « Je pouvais passer trois heures par jour à adorer le Saint-Sacrement sans même m’en rendre compte ! », souffle-t-elle. « Mais à la longue, je devenais trop ‘mystique’, je surinterprétais et spiritualisais toutes mes émotions ». Depuis Londres où il est au service des jeunes catholiques francophones, le Père Pascal Boidin est familier de ces trajectoires qui peuvent aller jusqu’à l’implosion. « Un néophyte ne peut pas vivre dans l’excitation permanente », martèle-t-il. « Il lui faut passer le cap du retour au réel ». Une deuxième « conversion » en somme et qui, paradoxalement, requiert une certaine prise de distance.
« À un moment, il y a eu une rupture. » D’une voix grave et lente, Adrien choisit soigneusement ses mots. « Ce monde dont je m’étais coupé, ces musiques que je n’écoutais plus… J’y suis revenu. » Un rééquilibrage par lequel Marie aussi a dû passer : « Avec le temps, on redevient soi-même. » Ce qui ne veut pas dire que l’on perd la foi, précise-t-elle. « J’ai simplement dû apprendre à la vivre de manière plus rationnelle, en acceptant de voir retomber la passion quasi amoureuse des débuts ».
C’est donc en enrichissant son terreau d’éléments puisés à l’extérieur de son environnement catholique que la « jeune pousse » peut pleinement s’enraciner et grandir. La radicalité s’adoucit, et l’on peut alors se préparer au temps long en cherchant à résoudre la délicate question du « qui suis-je » en Église.
Le défi de la rencontre avec l’Église
Marie a pour sa part sérieusement songé à la vie religieuse. Pendant cinq ans, elle enchaîne les séjours en abbaye, lit, étudie. Le monde monastique l’attire viscéralement et pourtant, elle y renonce, aux portes du noviciat. « J’ai trop besoin de questionner, d’être en mouvement », explique la trentenaire, non sans une pointe de regret. C’est finalement dans le domaine universitaire qu’elle poursuit sa réflexion, en consacrant une partie de son temps à l’étude de la théologie.
Maxime, lui, s’est donné toute une année pour réfléchir au sacerdoce, avant de capituler également. « Ne pas avoir d’enfants, j’ai du mal à l’accepter », murmure-t-il, ému.
Outre la question – toujours déstabilisante – de la vocation, l’intégration dans la vie laïque s’avère souvent tout aussi délicate pour les jeunes pousses. « Il peut y avoir un décrochage quand l’Église que ces jeunes vont rencontrer ne correspond pas à celle qu’ils avaient attendue pendant le catéchuménat », analyse l’abbé Rakoto de Malaza. Là où il espérait être entouré de semblables, Maxime découvre ainsi avec tristesse la tiédeur de nombre de ses coreligionnaires. « Tant de personnes se disant croyantes ne comprennent même pas le sens des sacrements qu’elles reçoivent ! », déplore le jeune pèlerin. Dans la paroisse issue du renouveau charismatique où Adrien s’engage, les réalités humaines sont également en clair-obscur. « J’ai commencé à observer de la rigidité, un manque de charité. Avec le recul, je comprends que ces comportements sont somme toute normaux au sein d’un groupe marginalisé comme peut l’être la communauté catholique dans la société d’aujourd’hui, mais ce n’est pas facile à vivre ». L’enracinement reste délicat pour le vingtenaire, dont le caractère réservé ne se retrouve pas toujours dans l’entre-soi extraverti des activités paroissiales.
« Je serai toujours attaché à mon baptême »
Face aux hésitations, aux tensions et, parfois, aux déceptions, les néophytes optent-ils donc pour la démission ? Dans le brouhaha de la rue de Londres, Adrien reste un moment silencieux. « Ce qui fait la valeur d’une vie, ce sont les choix que l’on pose », dit-il enfin. « On continue à questionner, mais on sait au fond que l’on sera fidèle. » Sur son t-shirt gris brille une médaille dorée qu’il regarde un instant, avant de déclarer : « Je serai toujours attaché à mon baptême. »
Eva Klein
*Le prénom a été changé.
[1] Catéchèse et catéchuménat (CEF), dossier « Accompagner les néophytes », mars 2024, p. 3
Crédit illustration en home page : Creative Commons Zero
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