Envoyée spéciale permanente pour le journal La Vie à Rome (Italie), Marie-Lucile Kubacki nous livre sa chronique romaine, entre « off » et « on », au Vatican.
“Tu verras, le Vatican, c’est un peu une cour…”, m’avait prévenue un collègue qui suivait le lieu depuis quelques années. En cinq années de vie à Rome, j’ai progressivement pris la mesure du jugement qui m’avait été livré en sésame de ma vie romaine. Une cour, c’est un lieu qui à ses usages et ses codes, son langage, ses favoris et ses disgraciés, ses “petites mains” qui voient tout et n’en pensent pas moins, son étiquette et ses entorses à l’étiquette. Ainsi, il sera impensable de ne pas appeler tel cardinal “Éminence”, et tout aussi impensable de s’adresser à un autre en ces termes, qui fera aussitôt comprendre son goût de la simplicité en signant simplement de son prénom, éventuellement suivi d’un “dom”.
Des sources vaticanes
Une cour c’est aussi un lieu où l’on parle, éventuellement, et souvent du bout des lèvres, c’est à dire le plus souvent en “off”, en “off-off”, voire en “background”, ce qui signifie que l’interlocuteur ne veut même pas être cité anonymement comme une “source vaticane”, entre guillemets, mais simplement “offrir des éléments de contexte pour aider au discernement”. Ce qui n’est pas sans poser question. Dans la mesure où une source ne parle que parce qu’elle a un intérêt spécifique à parler, il faut savoir démêler si l’intérêt de interlocuteur est de véritablement contribuer à la justesse d’une analyse ou de se servir du journaliste pour faire avancer une cause, et, pourquoi pas, de discréditer un tiers au passage. La coutume du “off” n’est pas propre au Vatican, mais elle y est particulièrement développée, car beaucoup partent du principe que dans un lieu où tout le monde se regarde du coin de l’œil, “pour durer il faut savoir se taire”, mais aussi que “parler, c’est s’exposer”.
Ainsi, il faut du temps pour apprendre à décrypter les sous-entendus – dans les cours, on s’exprime volontiers de manière allusive et elliptique, par litote, antiphrase et points de suspension -, décoder les symboles – selon que l’on se voit reçu dans une antichambre ou directement dans le bureau de tel prélat/ membre de la Curie -, à l’intérieur du Vatican ou à l’extérieur. Il faut parfois du temps – cela dépend des interlocuteurs – pour sortir de la logique de cour et de son fonctionnement, en tissant, entre autres, des rapports de confiance réciproque qui permettent une expression plus simple, plus franche et plus directe, et le passage d’informations. Si beaucoup se réfugient derrière l’étiquette pour se protéger et mettre la distance, ils sont parfois heureux de pouvoir s’en affranchir et de témoigner d’une réalité plus simple et plus humaine, au-delà des fantasmes qu’inspire le lieu. Car la cour est aussi un lieu où l’on croise de simples hommes, Dieu merci !
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