Lors du Centenaire de l’Ajir, que nous avons célébré le 24 septembre 2021 lors d’un cocktail aux Missions étrangères de Paris (MEP), rue du Bac, Nicolas Senèze est revenu sur l’histoire de notre association, la plus ancienne association de journalistes de France. Voici cette histoire.
L’Ajir, 100 ans d’histoire avec les religions
L’Ajir compte parmi les plus anciennes associations professionnelles. Quand elle est fondée en 1920, elle s’appelle l’Apir « l’Association professionnelle des informateurs religieux ». Le paysage religieux français est alors en pleine mutation. Sur les champs de bataille, la Première Guerre mondiale a permis la réconciliation entre les catholiques et la République qui, discrètement, traite avec le Saint-Siège en vue du rétablissement des relations diplomatiques. L’Église, de son côté, prend conscience de la nécessité d’investir le terrain de l’information : en 1923, l’Assemblée des cardinaux et archevêques pose les bases de ce qui sera la future école de journalisme de Lille.
Pour les journalistes qui suivent les questions religieuses, le temps est donc venu de s’organiser, d’abord pour peser face aux institutions religieuses. Les statuts de la nouvelle association posent d’emblée sa dimension non-confessionnelle, même si notre ancien président Jean-Pierre Denis avait un jour mis la main sur une carte de membre, signée de l’archevêque de Paris, invitant les autorités ecclésiastiques à faciliter la tâche du journaliste.
Si la majorité se dit catholiques – sans forcément pratiquer –, des journalistes d’autres confessions sont déjà d’éminents membres de l’association. Après son premier président, le littérateur André Chesnier du Chesne (Le Mercure de France), puis Victor Bucaille (Les Nouvelles Littéraires), c’est Geo London (Le Journal), « pas mal bambocheur et qui occupait de surcroit les fonctions de secrétaire des Folies Bergères » 1 qui préside aux destinées de l’« Apir »… Également grand reporter et chroniqueur judiciaire, il racontera à la grande joie de confrères, son premier échange avec le cardinal Dubois, archevêque de Paris :
— Éminence, avant toute chose, je dois vous dire que je suis juif…
— Mon fils, une confidence en vaut une autre : je suis cardinal !
Dans les années 1930, l’abbé belge René-Gabriel van den Hout raconte dans sa Revue catholique des idées et des arts l’« homme extraordinaire » que fut Geo London, « d’une grande autorité » parmi les « informateurs religieux ». L’un d’eux lui confie comment, un jour à Notre-Dame, alors que l’archevêque passait près d’un groupe de journalistes, ceux-ci se trouvèrent bien démunis devant la bénédiction que l’ecclésiastique leur adresse. « Nous ne savions que faire pour rendre sa politesse à Monseigneur, raconte le journaliste. C’est London qui nous tira d’embarras. Il se jeta à genoux, fit un grand signe de croix, et tout le groupe n’eut qu’à l’imiter »2. Déjà, l’Ajir s’occupait de la formation de ses membres.
Les liens sont aussi forts avec les autorités civiles – le préfet de police participe régulièrement aux rencontres de l’association – comme les responsables de la presse nationale (le président du Syndicat de la presse parisienne est ainsi membre du « comité de patronage » de l’association ».
Sous la plume parfois un brin fielleuse de l’abbé van den Hout, on apprend que l’association, forte alors d’une vingtaine de membres, reçoit chaque année pour « un banquet » l’une des hautes religieuses françaises. « La semaine prochaine, ils recevront le Cardinal de Paris à la Rotisserie périgourdine. L’an dernier ils avaient le grand rabbin. L’année précédente, ç’avait été au tour du pasteur Boehmer, chef des Églises réformées, d’être convié et traité au restaurant de la place Saint-Michel »3. Un autre repas a lieu chaque année, juste avant le Carême, à l’initiative des éditions Spes, qui éditent les conférences de Notre-Dame.
L’après Seconde Guerre mondiale, et surtout le Concile Vatican II, vont constituer l’âge d’or de l’information religieuse, avec des figures comme Henri Fesquet (Le Monde) et Jean Bourdarias (Le Figaro). Le 22 mai 1968, le cardinal Marty, le pasteur Westphal, le métropolite Meletios et le grand-rabbin Kaplan sont ensemble les invités de l’association, présidée alors par le pasteur Georges Richard-Mollard (Réforme). Ceux qui forment encore le « comité d’honneur » de l’Association des informateurs religieux se refusent alors à commenter les « événements », le pasteur Westphal discernant « un reste de cléricalisme » dans le désir éprouvé par beaucoup que les responsables des Églises fassent des déclarations4.
Avec la sécularisation des années 1970-1980, les tensions seront plus fréquentes entre les institutions religieuses (catholiques notamment) et l’Association des journalistes d’information religieuse5. Des tensions surgissent, aussi, entre les titres de la presse confessionnelle et ceux de la presse généraliste. La question du huis clos des débats de l’assemblée des évêques à Lourdes est – déjà ! – récurrente, tandis que l’« affaire du voile », en 1989 à Creil (Oise), oblige les journalistes d’information religieuse à élargir leurs horizons.
« On passait notre temps à leur dire qu’on n’était pas une courroie de transmission, se souvient Alain Woodrow (Le Monde). Lors d’une messe de la presse, un cardinal, dans son sermon, s’était adressé à nous en nous disant : “Vous êtes là pour porter le message du Christ dans le monde”. J’ai été obligé de faire un papier dans Le Monde pour dire que c’était faux : on est là pour informer sur l’Eglise, comme sur les mosquées… »6
Signe de l’insistance sur la dimension journalistique et la mission d’information, l’Ajir supprime dans les années 2000 la catégorie des « membres associés », qui rassemblait des adhérents venus de la presse religieuse mais qui ne disposaient pas de la carte de presse. Nombre d’entre eux se retrouveront au sein de l’Association de la presse des mouvements et services d’Église, rattachée à la Fédération des médias catholiques dont les liens avec l’Ajir sont aussi cordiaux que professionnels.
À cette époque, l’Ajir développe une intense activité de formation au service de ses membres même si, malgré une place de plus en plus importante du fait religieux dans l’actualité, les journalistes spécialisés sont de moins en moins nombreux dans la presse. C’est justement pour essayer de motiver les jeunes en formation à s’intéresser à la question religieuse que celle qui est devenue l’Association des journalistes d’information sur les religions créera, en 2017, son Prix « Religions-Jeunes journalistes ». La qualité des travaux proposés souligne que le recul de la culture religieuse est loin d’être une fatalité.
Nicolas Senèze
1 Simon Arbellot, Journaliste !, Éditions du Vieux-Colombier, 1954.
2 La Revue catholique des idées et des faits, n° 49, 2 mars 1934, p. 14.
3 Ibid. Il s’agit du grand rabbin Israël Levi et du pasteur Marc Boegner, président de la Fédération protestante de France. La Rotisserie parisienne se situait à l’emplacement de Gibert Jeune. Outre sa spécialité de truffe sous la cendre, un menu de l’époque souligne l’ampleur des repas : potage aux tomates, matelote de lamproie aux poireaux, ventre de veau à la libournaise, poulet sauté à la Calviac, fromages assortis, gâteaux bordelais, macarons de Saint-Emilion et fruits assortis ; pour accompagner le tout : Haut-Gardère 1927, Trottevielle 1924 et 1925, Lagrave Trigant 1926, Caillou 1921, Grand Armagnac 1893… On trouve la trace d’autres repas de l’Ajir au Lutetia.
4 Henri Fesquet, « Une déclaration épiscopale sur l’événement n’est pas opportune du moins dans l’immédiat explique Mgr Marty aux informateurs religieux », Le Monde, 24 mai 1968.
5 Le nom apparaît le 9 juillet 1986 au Journal officiel.
6 Philippe Riutort, « L’information en matière de religion. Une spécialisation moralement fondée ? », Réseaux, 2002/1 (n° 111), pp. 132 à 161
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